Décision - RG n°23-00.095 | Cour de cassation (2024)

* * * * *

Exposé des faits et de la procédure :

Mme [T] [F] a été embauchée par l'agence IC Conseil [Localité 2] par divers contrats de travail temporaire depuis le 13 août 2018 jusqu'au 10 février 2021, pour être mise à disposition de la société TI Fuel automotive systems.

Le 20 décembre 2021, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne de demandes tendant à:

- faire dire ses demandes recevables et bien-fondées,

- faire requalifier les contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée,

- faire dire nulle et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse la rupture du contrat de travail,

- faire condamner la société utilisatrice à lui verser les sommes suivantes :

. 1 665,33 euros d'indemnité de requalification,

. 3330,67 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

. 333,06 euros de congés payés afférents,

. 520,41 euros d'indemnité légale de licenciement,

. 8 000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse,

. 3 000 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile,

-faire condamner l'employeur aux dépens.

La société utilisatrice a conclu au rejet des demandes, et à la condamnation de la salariée aux dépens, et au paiement d'une indemnité de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 20 décembre 2022 et notifié à une date indéterminée à la salariée, le conseil de prud'hommes arejeté l'intégralité des demandes principales et reconventionnelles, et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Le 20 janvier 2023 la salariée a fait appel du jugement en son intégralité.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 janvier 2024.

Exposé des prétentions et moyens des parties :

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 avril 2023, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de déclarer ses demandes initiales recevables et bien-fondées, et d'y faire droit, en sollicitant une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 juillet 2023, l'intimée demande à la cour de déclarer l'appel recevable mais non fondé, de confirmer le jugement, de débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes, de la condamner aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Motivation :

1 - sur la requalification de la relation contractuelle

La salariée rappelle que le délai de prescription d'une action en requalification des contrats de mission intérimaire fondée sur le motif de recours a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats de mission, le terme du dernier contrat et qu'en cas de succès, le salarié peut revendiquer des droits vis-à-vis de l'irrégularité du recours au contrat de travail temporaire aux premiers jours de sa mission.

Elle prétend que toute une série de contrats vise le remplacement de salariés absents, catégorie non-cadres, agent de fabrication, sans renseigner la catégorie professionnelle du salarié remplacé, à savoir ouvriers ou ETAM alors qu'il s'agit d'une obligation essentielle. Elle rappelle qu'il appartient à la société de rapporter la preuve de la réalité du motif invoqué dans le contrat et fait observer que l'accroissem*nt d'activités qui a servi de motifs à plusieurs contrats de travail temporaire, n'est pas justifié et que la société de façon récurrente embauche de nombreux intérimaires pour effectuer des tâches permanentes, et qu'il s'agit d'un mode classique de gestion de l'activité par l'entreprise.

L'employeur soutient que 35 contrats visent un remplacement de salariés et précisent la qualité de l'agent remplacé et qu'il n'existe aucune obligation de faire figurer sur le contrat de travail en plus de la qualification la classification, la catégorie, l'échelon où l'indice du salarié remplacé. Elle ajoute que d'autres contrats ont été conclus en raison d'un accroissem*nt temporaire d'activité et prétend justifier au moyen de documents certifiés conformes par le contrôleur de gestion, de comptes-rendus de réunions d'information des fournisseurs et d'un tableau montrant la présence de la salariée intérimaire par rapport à l'augmentation de la production et procès-verbaux de réunions du CSE, de la réalité des motifs du recours travail intérimaire.

Au préalable, il sera fait observer que la prescription n'est pas soulevée par l'entreprise utilisatrice.

C'est à tort que le conseil de prud'hommes a rejeté la demande de requalification sans disposer de la preuve des motifs du recours au travail intérimaire alors que la salariée rappelle, à raison que cette preuve pèse sur l'employeur. Or, aucune pièce du dossier de l'employeur ne vient justifier l'absence de la salariée que Mme [F] était sensée remplacer lors du premier contrat le 13 août 2018.

Sur le fondement des articles L 1251-6 et L 1251-40 du code du travail, la requalification doit être prononcée par infirmation du jugement déféré.

Par infirmation, il sera fait droit à la demande de paiement de la somme de 1 665,33 euros au titre de l'indemnité de requalification, sur la base d'un salaire horaire brut de 10,98 euros ou 1 665,33 euros bruts mensuels.

2 - sur la rupture de la relation contractuelle.

La salariée prétend que l'entreprise utilisatrice a mis fin au contrat de travail au motif qu'elle a dénoncé la discrimination dont faisait l'objet son compagnon. Elle ajoute que après la requalification, la cour devra se prononcer sur la rupture qui a été faite sans entretien préalable ni lettre de licenciement et qu'elle est nécessairement irrégulière.

L'employeur soutient que la pièce produite par la salariée supposée justifier l'alerte quant à la discrimination dont le compagnon de la salariée aurait fait l'objet est un échange entre le syndicat CGT et des salariés sur des propos relatés par un témoin indirect qui n'a rien constaté, qui a répété ce qui lui a été dit de sorte que le document n'a aucune valeur probante celui-ci ne permettant pas de savoir ce qui était dit, par qui et à l'encontre de qui. Elle rappelle qu'il ne s'agit pas d'un licenciement disciplinaire et que la charge de la preuve incombe à la salariée.

Aucune pièce du dossier de la salariée ne permet d'imputer la rupture à la dénonciation par elle d'une discrimination dont aurait été victime son compagnon également salarié. Sont produits des échanges de mails entre le représentant du syndicat CGT et des salariés suite à l'alerte donnée par M. [S] [F], oncle de la salariée, ainsi qu'un échange de sms entre deux personnes non identifiées, ce qui ne suffit pas à faire la preuve que la salariée a dénoncé à son employeur des comportements discriminants de certains collègues.

La nullité du licenciement doit donc être écartée.

Il reste que la rupture du contrat de travail requalifié, sans motif, est sans cause réelle et sérieuse de sorte que la salariée peut prétendre :

- à une indemnité compensatrice de préavis, égale à deux mois du salaire qu'elle aurait perçu si elle avait travaillé, soit la somme de 3 330,66 euros,

- à des congés payés afférents soit la somme de 333,06 euros,

- à une indemnité légale de licenciement égale à 1 006,16 euros de sorte qu'il sera fait droit à la demande de 520,41 euros,

- à des dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement abusif sur le fondement de l'article L 1235-3 du Code du travail, ce qui, compte tenu de son ancienneté et de l'effectif de l'entreprise dont il n'est pas justifié qu'il fût inférieur à 11, correspond à une indemnisation d'un montant compris entre 3 mois et 3,5 mois de salaire. Compte tenu de l'ancienneté, de l'âge de la salariée, de son niveau de revenu, de l'absence de justification de sa situation après la rupture, la somme de 5 000 euros est de nature à réparer entièrement les préjudices subis.

Les conditions s'avèrent réunies pour condamner l'employeur, en application de l'article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle Emploi, devenu France Travail, les indemnités de chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement jusqu'au jour de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités.

Succombant au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, la société TI Fuel Automative systems sera condamnée aux frais irrépétibles et aux dépens par infirmation du jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de remboursem*nt de ses frais irrépétibles et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens. Déboutée de ses demandes à ce titre, la société employeur sera condamnée à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros en remboursem*nt de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

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